Critique du temps de travail 1/2 : ni 35 ni 30, plutôt zéro heure !

Article paru initialement le 15 novembre 2020 sur l’ancien blog. Version mise à jour.

Il est une revendication des organisations politiques qui, si elle va dans le bon sens, me semble passer à côté d’une critique radicale du travail. Je veux parler de la réduction du temps de travail. Évidemment, réduire le temps de travail « légal » (on verra le piège que comporte ce terme) ne peut qu’être bénéfique pour le bien-être de la classe laborieuse, nous donnant plus de temps libre pour les loisirs ou faciliter l’arrivée de la révolution sociale, d’un point de vue plus révolutionnaire.

J’ai pleinement conscience que les acquis sociaux sont des bases sur lesquelles de nouveaux acquis encore meilleurs vont être obtenus. Il est tout aussi évident que les choses les meilleures de la société actuelle inspireront la société de demain. Ainsi, il est par exemple inenvisageable de remettre en place la peine de mort, que ce soit dans cette société-là ou la société communiste-libertaire future. C’est pourquoi, il faut lutter pour obtenir les meilleures conditions de vie dès que possible, pour ne pas avoir ça de plus à régler quand viendra un grand chamboulement.

Mais ce blog ne se préoccupe pas de cela aujourd’hui. D’une manière plus théorique, mais pragmatique, on va faire la critique du travail et du temps qu’il nous prend dans sa globalité.

Réduire le temps de travail légal à 30 heures, c’est théoriquement rentrer tous les jours une heure plus tôt chez soi après le boulot. Ça n’est pas franchement très révolutionnaire, dit comme ça, mais ça reste une mesure à obtenir pour profiter autant que possible de la vie, aussi difficile soit-elle sous le capitalisme. Là, on va aller plus loin que cette revendication et voir qu’on peut réclamer la fin du travail, plutôt qu’une réduction du temps qu’il nous prend.

Cette revendication et bien plus révolutionnaire que réformiste. Il ne s’agit bien sûr pas de prétendre à une pureté idéologique hors de propos mais rappeler ce qui est évident pour tout le monde : le travail est une souffrance et une nuisance capitaliste qu’il faut arrêter. Pour cela il faut faire une réelle révolution sociale. Une révolution que l’on doit produire par et pour nous-mêmes et pas attendre les bras croisés, c’est pourquoi il faut y penser et avoir ce genre de revendication aussi. C’est aussi pour ça que je fais tous ces articles et émissions twitch. Pas seulement pour être « gauchiste » et avancer sans plan dans la lutte de classe, mais au contraire avoir cette critique du travail constamment en tête pour éviter les illusions. Réduire le temps de travail légal ne nous donnera qu’une heure de plus par jour, 5 heures par semaine. Ça ne mettra pas fin à la nuisance du travail-marchandise.

Cet article est à voir comme une suite de celui intitulé « 10 raisons de détester le travail ». Ce dernier résume, avec un langage simple et humour, un peu tout ce qu’on peut reprocher au travail, d’un premier coup d’oeil.

C’est une critique radicale, à la racine du problème, du travail, ce dernier qu’il faut abolir. On parle là évidemment du travail salarié – qu’il s’agisse d’un salaire privé, « publique » c’est-à-dire étatique, ou « socialisé » soit bureaucratique – ou du travail marchandise, en ce sens qu’il s’agit de vendre sa force de travail, manuelle et/ou intellectuelle, plutôt que produire des choses nécessaires, utiles et désirables pour la société.

En aucun cas il est question de faire l’éloge d’une paresse généralisée et déraisonnable (bien que je revendique nos droits à la paresse). Les efforts les plus constructifs et beaux peuvent être produits sans se vendre, c’est même plus logique comme ça : on s’applique plus quand nos activités nous plaisent et ont du sens dans notre vie, que lorsqu’on fait ce qu’on nous ordonne, on ce qu’on est obligé de faire par des abstractions et un ordre des choses qui nous dépassent. Sachant pertinemment qu’il ne s’agit que de rapporter de l’argent à la bourgeoisie, ni plus ni moins.

Commençons cette critique du temps de travail par un petit problème de mathématiques :

Rosa travaille dans un bureau 35 heures par semaine, 7 heures par jours, 5 jours d’affilées, du lundi au vendredi donc.

Elle met 15 minutes pour se rendre à son travail et 15 autres pour y revenir.

En rentrant du travail, sa compagne en temps partiel a eu le temps de faire le ménage et la cuisine.

Rosa se lève donc à 6h tous les matins, prend son petit-déjeuner, se brosse les dents, se lave etc, part pour le travail en vélo à 7h45 pour arriver au travail pile à l’heure, comme d’habitude, à 8 heures. Là, elle va rester jusqu’à la pause du midi d’une heure, où elle peut prendre son temps à la cantine voire de temps en temps aller à la brasserie du coin avec des collègues. Elle revient à 13h, où elle continue de travailler jusqu’à 16h. Elle rentre donc à 16h15, comme d’habitude, et sa copine Mélissandre l’accueille avec un chaleureux bisous, comme d’habitude. Elle se couchera à 22 heures, comme d’habitude.

On va calculer le temps théorique disponible dans cette situation « idéale » de Rosa, par semaine et par jour.

Sur la photo, c'est Rosa Parks, mais pour le blog imaginons un personnage fictif.
J’ai mis Rosa Parks pour illustrer, mais pour l’exercice imaginons un personnage fictif.

Les calculs qui vont suivre sont à titre indicatif. Il s’agit de raisonner par l’absurde, ne vous forcez pas à lire si vous trouvez ça trop compliqué. Bien que j’ai fait de mon mieux pour être compréhensible par le plus grand nombre, vous pouvez toujours lire le dernier paragraphe pour voir le résultat final et la conclusion.

Si vous avez au contraire le courage de vérifier mes calculs, ça serait cool que vous me dites vos résultats, histoire de s’assurer que je ne dis pas trop de bêtises, merci !

Dans une semaine il y a 7 × 24 = 168 heures.

Enlevons d’emblée le temps de travail légal : 168 – 35 = 133 heures.

On peut enlever le trajet pour et depuis le travail, qui prend 30 minutes par jour soit 0,5 × 5 = 2,5.

On a donc 133 – 2,5 = 130,5.

Ce n’est pas fini, Rosa dort au moins 8 heures par nuit, pour être en pleine forme au travail, et garde ce rythme le week-end. On a donc 8 × 7 = 56 heures passées à dormir dans la semaine.

Donc 130,5 – 56 = 74,5 heures par semaine de disponible, sur 168 heures au total ou 112 heures éveillées (168 – 56).

On a 74,5 < 84 (avec 84 = 168/2; soit 3 jours et demie). Rosa a donc moins de la moitié de son temps « libre » total, car son temps disponible par semaine est inférieur à la moitié du temps total de la semaine.

Mais Rosa ne fait rien quand elle dort, on peut donc être plus réaliste et voir son temps libre par rapport à son temps éveillé : 74,5 > 56 (son temps disponible est supérieur à la moitié du temps éveillé); avec 112 / 2 = 56; soit trois jours éveillées et demie. Car, une semaine éveillée = 112 heures, un jour éveillé c’est donc 112 heures / 7 jours, ou 24 – 8 = 16 heures par jour.

Donc, un jour éveillé = 16 heures, la moitié de cette journée fait 8 heures. Une semaine éveillée correspond à 112 heures. Et la moitié du temps éveillé est par conséquent de 56 heures.

Rosa dispose donc de plus de la moitié de son temps éveillée. Elle dispose de 2 jours de week-end, qui lui donne 32 heures éveillées de libre, puis des quelques heures qui la séparent du moment où elle est rentrée chez elle et de celle où elle va se coucher.

Voyons rapidement les calculs à faire par jour : de 16h15 à 22h (car elle se lève à 6h et dort 8 heures, donc se couche à 22h), elle fait ce qu’elle veut. Elle a donc 5 heures et 15 minutes le soir. En plus du temps de la matinée : entre le réveil (6h) et le départ au travail (7h45), elle a donc 1 heure 45. Ça lui fait, par jour travaillé, 7 heures de libre (1h45+5h15), donc moins de la moitié de son temps éveillée quotidien (8 heures).

La moyenne de temps libre éveillé disponible est donc « faussée » par le week-end, qui donne beaucoup de temps libre d’un coup et le temps « libre matinal » qui n’est qu’une préparation au travail de la journée. Quand Rosa travaille, elle est plus de temps au travail qu’avec Mélissandre, ou seule mais toujours en faisant des choses qui lui plaisent et dont elle a réellement besoin.

Pour plus de simplicité, si on se réfère aux jours travaillés uniquement et qu’on ne prend pas en compte le temps matinal, on se retrouve avec les calculs suivants :

La « vraie » journée de Rosa ne commence qu’à 16h15, quand sa petite amie l’embrasse pour lui dire bonjour. Sa nuit commence à 22 heures. Rosa n’a du temps libre éveillée qu’entre 16h15 et 22h00. Elle dispose donc de 5 heures et 15 minutes par jour, pendant la semaine. Ça lui fait 26 heures et 15 minutes par semaine (5h15 × 5 = 26h15; ou 5,25 × 5 = 26,25). Donc moins que le temps « légal » de travail (35h) qui implie un « temps de travail » (le temps nécessaire au travail) bien plus grand. Et à peine plus que ce que donnerait une semaine de 30h, c’est-à-dire en rentrant une heure plus tôt du travail et ayant, en toute logique, une heure de plus par jour de travail. Pour simplifier : 6h15 × 5 = 31h15 > 30h. Donc, si on ne prend pas en compte les embouteillages, les heures sup’ etc, on peut théoriquement espérer avoir plus de temps « libre » et éveillé, par jour de travail, que de temps de travail avec une semaine de 30h. Reste à relativiser aussi sur la différence très légère (1h15) qui sera vite réduite à néant pour les raisons citées plus haut.

A ceci s’ajoute le temps du week-end, quand elle ne dort pas. Ça donne un total moyen de temps libre éveillé de 58 heures et un quart par semaines.

Une journée éveillée de Rosa étant de 16 heures, le week-end lui donne un total de 32 heures, elle a donc par semaine 32 heures de week-end plus les 26 heures et quart de la semaine : 32 + 26,25 = 58,25, soit 58 heures et quart. Mais nous avons vu que la moyenne hebdomadaire totale cachait la réalité de la semaine de travail. Voyons donc cette période de travail seule.

Sans le week-end, Rosa dispose donc de 26 heures de temps libre éveillée, pour un total de temps éveillée de 80 heures, soit moins d’un tiers (26 / 80 = 0,325 pour être plus exacte; un tiers = 1/3 = 0,3333333etc.). Ce qui veut dire que Rosa passe les deux tiers de son temps éveillé au travail (plus le trajet et la préparation) et le tiers restant à faire ce que bon lui semble. Pour vérifier, prenons les chiffres à la journée : comme dit plus haut, la journée « libre » dure 5 heures 15 et la journée éveillée dure 16 heures. On a donc 5,25 / 16 ≃ 0,328. Soit toujours moins d’un tiers et un résultat très proche.

Un tableau assez simple pour visualiser ce que ça représente en « emploi du temps »

Rosa, ne dispose donc, dans cette situation « idéale », que d’un tiers de son temps éveillée en semaine, les deux autres étant consacrés au travail. Heureusement qu’elle a un week-end et qu’elle est en forme pour en profiter. En moyenne hebdomadaire, elle a alors entre un tiers et la moitié de temps libre. Elle passe donc plus de la moitié de son temps au travail. Mais Rosa a de la « chance », car il s’agit-là d’une situation « idéale » : elle dispose tout de même de plus de 3 jours et demi éveillées (58 heures) de disponibles au total, sur 7. Surtout qu’elle peut faire ce qu’elle veut une fois rentrée du travail. Il y a des cas où le temps est bien plus fragmenté, et c’est d’ailleurs la norme (dans le pays comme la france, on ne prend pas en compte les cas de (quasi)escalavage de certains pays où ce genre de question en se pose même pas, bien sûr). On va voir la situation « moyenne » de Ruben, et attention, c’est là que ça va se compliquer réellement.

Là aussi, imaginons que cet anonyme est Ruben :)
Là aussi, imaginons que cet anonyme est Ruben 🙂

Comme Rosa, Ruben, a 35 heures par semaine de travail légal, mais il travaille, comme la plupart des gens en france, en moyenne 39 heures par semaine (presque autant qu’en 1936, après le front populaire), du fait des heures supplémentaires. Il a donc 168 – 39 = 129 heures de temps libre disponible.

Comme la moyenne des françaises et français, Ruben a un trajet pour le travail de 22 à 40 minutes par trajet. Prenons un moyenne plutôt basse, disons de 30 minutes par trajet, soit une heure par jour, pour être gentille avec lui. Il passe donc 1 × 5 = 5 heures par semaine dans les transports pour le travail (train intercité, puis métro, par exemple). Il a donc à ce stade 129 – 5 = 124 heures en dehors du temps légal de travail et du trajet.

En moyenne, de 20 à 44 minutes pour se rendre au travail

Comme la plupart de français et françaises, il dort en moyenne moins de 7 heures par nuit.

Disons qu’il dort en moyenne 6h30 par nuit, pour simplifier. Il dispose donc de

124h – (6,5h × 7j)

124h – 45,5h

= 78,5 heures éveillé par semaine en temps libre. A noter que sa journée de travail, il dispose de 17h30 de libre, du fait qu’il dort 1 heure 30 de moins que Rosa.

Le temps de sommeil moyen des Français passe en dessous de 7 heures par nuit

Théoriquement, du fait de son temps de sommeil réduit, Ruben dispose donc de plus de temps libre éveillé en moyenne hebdomadaire que Rosa (qui a 74 heures et demie). Seulement, Ruben est célibataire et quand il rentre, il doit faire le ménage et la cuisine, il perd donc en moyenne 30 minutes par jour, ce qui donne un total moyen de temps libre éveillé hebdomadaire de 78,5 – 3,5 = 75,5 heures. Là, il n’est plus si loin de la situation de Rosa.

On voit là toute l’importance du travail « reproductif », qui consiste en permettre la « reproduction » du travail. En termes plus courants, Ruben, en faisant les tâches ménagères, se donne les moyens d’être disponible pour le travail. Le « travail reproductif » est l’ensemble des tâches que l’on doit faire en dehors du travail mais qui permettent à celui-ci de perdurer. Si Ruben ne faisait pas la cuisine, par exemple, il ne serait sans doute pas assez en forme pour travailler, car il ne mangerait pas de la nourriture saine. Maintenant, voyons ce temps par jour travaillé, pour ne pas se laisser abuser par une moyenne abstraite hebdomadaire, brouillée par le week-end.

Ruben se lève à 5h30 du matin, comme d’habitude. Il se prépare et part à 7h30. Le trajet lui prend 30 minutes et il arrive à son bureau vers 8h. Il travaille d’ici à 12h30, heure à laquelle commence la pause déjeuner. Il reprend à 13h et continue jusqu’à 16h30, car il a fait une demie-heure supplémentaire, comme d’habitude. En rentrant chez lui à 17h, il lui reste la cuisine à faire et s’occuper de la litière du chat, ce qui lui prend une demie heure. Sa « vraie » journée commence donc vers 17h30. Il dispose donc de temps libre de 17h30 à 23 heures, heure à laquelle il se couche. Ce qui lui donne 5h30 de libre par jour travaillé.

On pourrait donc croire qu’il a une situation plus confortable que celle de Rosa, puisqu’il a alors 15 minutes de plus (5h30 au lieu de 5h15), mais ça reste moins d’un tiers de sa journée (5,5 / 17,5 ≃ 0,314), c’est même moins que Rosa au final. Ensuite, si l’on prend en compte le fait qu’il est trop fatigué en rentrant pour faire quoi que ce soit, ça donne moins envie. Surtout que son sommeil réduit, qui lui donne plus de temps libre, n’est qu’un symptôme du stress au travail et des heures passées devant l’écran du bureau. Et encore, le week-end, il n’a pas forcément la motivation de sortir ou faire quelque chose d’un peu original, car il est fatigué. Tout au plus a-t-il la force de sortir le samedi soir avec des potes, sans rentrer trop tard, à moins qu’il n’y ait un confinement. Le week-end dans ce cas devient un dilemme : « profiter » de mon temps libre pour faire ce que le travail m’a empêché de faire durant la semaine, ou « rattraper » mon sommeil perdu par le travail.

Pour le cas de Ruban, ça donne un tableau un peu similaire.

Cela-dit, Ruben a malgré ça encore tout de la « chance » par rapport à Dominique.

Il s'agit de l'actrice Dominique Swain, mais là encore, c'est à but d'illustration ^^
Il s’agit de l’actrice Dominique Swain, mais là encore, c’est à but d’illustration ^^

Cette fois-ci, on va tout de suite s’occuper de sa journée de travail, pour faire plus court, clair et utile. Il n’y aura même plus besoin de faire de calcul.

Dominique se lève à 5h, elle prépare le petit-déjeuner de ses enfants et les conduit à l’école à 7h15. Elle va tout de suite au travail pour arriver à 8h au turbin. Elle bosse jusqu’à 12h pour avaler son sandwich. Elle remet ça de 12h30 jusqu’à 17h, arrive à l’école vers 18h, récupérer ses enfants qui l’attendent dans la salle de permanence, pour rentrer à 18h45. Là, elle fait à manger, aide ses enfants à faire leurs devoir qu’ils n’ont pas tous eu le temps de finir avant qu’elle arrive à l’école et prépare son repas pour le lendemain. Vers 21 heures elle peut enfin « souffler » un peu, c’est-à-dire végéter jusqu’à 22h30, heure à laquelle elle va tenter de dormir pendant 6 heures.

Ici, pas besoin de faire de calcul. Dominique n’a aucun temps libre. Elle doit constamment s’occuper de quelque chose. Le week-end, elle a quelques heures pour « elle », mais le « dilemme » activité ou sommeil, ne se pose même plus, il lui faut se reposer, tout en s’occupant de ses gosses. Vous pouvez penser que j’exagère, mais je n’ai fait que suivre la moyenne haute des chiffres donnés plus hauts. Et il y a beaucoup de Dominique en france et dans le monde (et de nombreux cas sont encore pires du point de vue humain), ce n’est pas un cas isolé du tout. Dans tous les cas, même avec une heure de moins par jour, elle serait trop épuisée pour faire quoi que ce soit de son temps « libre ». Elle doit toujours avoir une attention constante pour ses enfants. Et soit son mari n’est plus là soit il ne s’en occupe pas et lui laisse toute la « charge mentale ».

A l’origine, mon but était de finir par remplacer ces horaires par une semaine de 30 heures théorique. Mais le cas de Dominique montre bien la futilité d’une telle démarche. Le temps perdu à cause du travail est trop énorme pour qu’une heure par-ci par-là révolutionne nos rapports au travail.

Par exemple, dans le cas de Rosa, et toujours théoriquement, on verra en quoi en pratique il en sera rien : elle rentrerait sans doute une heure plus tôt chez elle, ou alors elle commencerait une demie-heure plus tard et finirait une demie-heure plus tôt. Ça ne changerait rien à son temps de sommeil, puisqu’elle dort théoriquement toujours 8 heures par jour, ce qui et énorme pour la moyenne française. Elle pourrait peut-être passer un peu plus de temps avec Mélissandre, ce qui sera bon pour leurs bien-êtres respectifs. Mais au total, elle consacrera toujours près (voir même plus) de la moitié de sa vie au travail. Son travail sera donc toujours théoriquement plus important que ça petite amie.

Dans le cas de Ruben, gagner une heure légale par jour n’apportera théoriquement pas de grand changement. Tout au plus, rentrera-t-il un peu plus tôt pour retrouver son chat et aura-t-il un peu plus souvent la motivation et la forme de sortir avec ses potes. Mais il passera toujours plus de temps au travail qu’avec son chat ou ses potes, ou se donner ce temps pour lui-même.

C’est dans le cas de Dominique qu’on pourrait espérer une amélioration visible, et encore. Si elle commence plus tard et fini plus tôt d’une demie-heure, elle pourra consacrer théoriquement plus de temps pour elle. Mais tant que toute la charge mentale du travail de reproduction ne sera pas remise en cause, elle passera le plus clair de son temps entre le travail, la famille et la maison. Si elle souffrira peut-être moins, elle souffrira forcément toujours, il faut garder ça en tête.

Pourquoi tous ces chiffres ?

Dans ce blog, il ne s’agissait pas de compter les heures par obsession des chiffres mais plutôt d’une tentative de montrer l’absurdité de penser le temps de travail comme une variable d’ajustement révolutionnaire. Le « temps libre », quand il n’est pas un dérivé du travail, par le travail de reproduction, est assez limité dans le temps et dans les possibilités qu’il nous offre, surtout pendant un confinement. Cette absurdité du comptage des heures est une partie de l’absurdité du travail dans sa globalité, lui-même une partie de l’absurdité capitaliste pris dans sa globalité. Celui-ci nous fait perdre du temps qu’on préférerait à raison consacrer à nos amitiés, nos amours, nos emmerdes et à nous-même. On perd plus de la moitié de notre temps de vie dans un travail qui est presque toujours une activité détestable. L’article « 10 raisons de détester le travail », cité plushaut le montre le plus implement du monde. Pas besoin de calcul au final pour bien comprendre les souffances infligées par le travail et la perte de temps qu’il suppose. La quantification de tout ce qui existe, avec une précision chirugicale, est une des caractériqtique de l’économie. Etant nous-mêmes abitué·es, « sociabilisé·es », par cette « culture » du chiffre, il m’est semblé nécessaire de commencer par là, pour arriver ensuite à une critique de l’absurdité de cette quantification permanente.

C’est une peine à perpétuité que nous inflige le capitalisme.

Soyons matérialistes : voyons comment le monde matériel fonctionne pour en produire des idées, plutôt qu’a l’inverse être « idéaliste » :

De toute façon, le patronat sait faire face à une baisse du temps de travail légal.

Il a d’ailleurs très tôt fait face à la baisse à 35 heures, pour arriver aujourd’hui à un pays avec le moins d’heures légales d’Europe (35) mais le plus d’heures travaillées de ce même continent (39).

Les Français font plus d’heures supplémentaires que les autres

« En France, un tiers des travailleurs déclare réaliser en moyenne 15 heures de travail supplémentaire par semaine contre une moyenne mondiale de 14%, selon une étude de Regus. »

En quelque sorte, la classe bourgeoise « se venge », ou plutôt « se rattrape » en augmentant les cadences et imposant des heures supplémentaires. La baisse à 35 heures a permis d’avoir le droit légalement de partir après 35 heures bossées dans la semaine, mais dans les faits, la pression sociale ou exercée directement par la bourgeoisie réduit les possibilités de dire « merde ». Le travail reproductif surtout effectué par les femmes, fera toujours perdre un temps monstrueux tant qu’il ne sera pas équitablement réparti. Maintenant, il n’y a pas de changement positif concret, le stress a augmenté, le temps de sommeil moyen a baissé, le temps passé à travailler a augmenté, le chômage aussi etc.

Pour réduire ces abus inévitables, on pourrait ajouter une revendication de réduction du temps de travail par jour. Et réduire le nombre de jours de travail aussi. Si on ne bosse que 2 ou 3 heures dans une journée, mais qu’on a 1 heure de trajet aller plus une autre de retour, ça fait perdre 4 à 5 heures, et c’est ça qui compte, tant qu’on a pas mis fin au capitalisme : réduire le temps perdu qu’on ne rattrape plus, comme le dit au moins 2 chansons que j’ai en tête. Ainsi, on pourrait réclamer le week-end de 3 jours et demie pour envisager seulement passer plus de temps libre que de temps de travail. Aussi, faire payer intégralement le temps de trajet, tout en visant à le réduire un maximum. Il n’y a qu’à songer à tous ces trajets pour aller travailler dans une autre ville, voire dans une autre région, pour produire des choses qui n’ont aucune utilité pour le bien-être de la société. Même rajouter un dédommagement pour les personnes qui passent plus d’un certain temps, disons 20 minutes, par trajet etc. Les « réformes radicales » (quasi-oxymore) à imposer ne manquent pas. Les organisations politiques ayant le courage au moins d’en parler sont rares, si ce n’est inexistantes.

Rappelons l’introduction, il ne s’agit pas de cracher sur les réductions des souffrances (comme les propositions d’idées de réfomes du pragraphe précédent le montrent), mais de bien prendre conscience qu’elles s’inscrivent toujours dans le capitalisme et qu’une réduction simple de 35 heures légales hebdomadaires à 30, sans réflexion autour, sans projet révolutionnaire derrière ni mouvement de masse devant, n’apportera rien. La bourgeoisie est parée à cette éventualité. Si l’instauration d’une durée légale (40 heures à l’époque) durant le front populaire et d’une « retraite des vieux », a permis à de nombreuses personnes de découvrir une forme d’épanouissement (limité et inscrite dans une dynamique bien capitaliste et « spectaaculaire » : tourisme de masse avec circuit pré-établi et consommation de masse. C’est en quelque sorte le front populaire puis les « trentes glorieuses » qui ont permis la société de consommation et duspectacle), il a vite été remis en question, dès 1938, par un gouvernement autoritaire, on pourrait dire « pré-fasciste », puis par une dictature. Un de mes articles consacré à Récidive 1938, le livre de Fœssel en parle plus. C’est aussi ce qui expliquerait, rapidement et partiellement, le tournant autoritaire pré-fasciste de l’actuel gouvernement. La bourgeoisie a besoin de rendre plus docile la classe laborieuse en mettant fin à des acquis sociaux. A ce sujet, voir mes blogs « Le fascisme qui vient ».

Ça nous montre que c’est aussi en cela que des réformes, quand elles ne sont pas justes des façades ou de la démagogie opportuniste stérile, permettent d’aider d’une certaine manière la révolution. Les acquis sociaux, quand ils sont obtenus de haute lutte par la classe laborieuse permettent à celle-ci de s’approcher partiellement de la révolution qui lui conviendrait, en gagnant en autonomie, au moins financière, vis-à-vis du capitalisme (encore un oxymore : tant qu’il y a de l’argent, il y a du capitalisme), on ne peut donc pas « s’autonomiser » du capitalisme par l’argent). Mais la dépendance à l’état reste. C’est pourquoi les anarchistes, comme moi, voient le capitalisme dans sa globalité et ne se contentent pas des réformes, même les plus « radicales » en apparence, donc de la seule semaine de 30 heures.

Une révolution sociale que j’appelle de mes vœux rendrait toute ces mesures obsolètes, et inverserait le tournant autoritaire du capitalisme-étatisme vers une société anarchiste, ou communiste-libertaire. Ce qu’on appelle aujourd’hui le « travail » ne serait plus la vente de notre force de travail, un échange marchand de travail contre de l’argent, mais un ensemble de tâches nécessaires, utiles et désirables pour la société. Le tout, décidé en autogestion par les communautés fédérées bénéficiant du service et les personnes effectuant ces tâches. Donc sans rémunération, avec une gratuité d’accès aux besoins de subsistance et de loisir : nourriture, logement, vêtement, santé, énergie, eau, mobilier etc.

Dans l’article suivant, on traitera d’un exemple que je connais un peu pour y avoir travaillé, celui de La Poste. Nous ferons une brève expérience de pensée dans laquelle le capitalisme et l’état sera renversé dans le monde. Dans ce prochain blog, qui fera office de suite à celui-ci et de réponse à l’objection « mais il faudra toujours faire plein de choses ! », on verra combien de temps sera consacré au service postal dans une société mondiale ni étatiste, ni capitaliste. Nous en déduirons par là logiquement le résultat sur l’ensemble du travail.

Pour finir sur une touche plus triviale, voici deux références musicales, une trop connue et une pas assez, dans laquelle il est question entre autre du temps perdu par le travail.

Bonne écoute et à la prochaine. (hésite pas à partager mes blogs etc 😉 )

On a trop entendu cette chanson en vrai. Mais je la mets pour la phrase : « Enfin le temps perdu qu’on ne rattrape plus ». Sinon on est d’accord qu’on l’entend à chaque manif et que ça saoule.
Par contre celle-là on l’entend pas assez. Une reprise d’une chanson de Viénet par un groupe anarcho-punk. On y entend notamment : « Le travail tue, le travail paie. Le temps s’achète au supermarché. Le temps payé ne revient plus. La jeunesse meurt de temps perdu. » Le reste de la chanson est très beau.

Vive l’Anarchie ! 🏴

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